Mille (cinq cents) mercis

On dira ce que l’on veut, l’épopée du premier roman paraît sans fin.

Elle débute devant la feuille blanche. Un océan de vide. Rien pour s’accrocher aux alizés de l’espoir. Aucune expérience des nœuds qu’il faudra défaire. Nul indice pour fixer le cap. Alors, on s’improvise expert du sextant. On ébauche une route pour surnager, comme d’autres croient en un chemin dans l’inextricable. On l’évalue et, peu à peu, on s’y engage avec détermination. N’est-elle pas la meilleure voie puisque c’est la nôtre ?

Mais à l’idée de dompter les mers succède bientôt l’impression d’enchaîner les ronds dans l’eau. La feuille se noircit de cercles, d’annotations, de mots barrés. On rature. On efface. On re-rature. Et petit à petit, on redoute de naviguer à vue. Une carte au trésor n’eût pas été de trop. Le flibustier multirécompensé contant ses exploits au jeune fretin n’avait-il pas prévenu ?

À mi-parcours, plus question d’un demi-tour. Nous voilà lancés. En avant toute ! Le grand perroquet bombe le torse à force d’inspiration. Les focs lui emboîtent le pas sous l’effet de l’intuition : cette scène est la bonne, ce dialogue sonne juste. Et tant pis si les envies de rebondissements nous tournent autour tel un banc de sirènes piégeuses.

On plonge à toute berzingue.

Forcément, les tempêtes ne manquent pas. Le vernis des certitudes craquelle déjà. Les voiles de la confiance se dégonflent. Et l’abattement nous tord les boyaux comme des creux de six mètres après une rasade de mauvais rhum. Pour ne rien arranger, on se sent seul même bien entouré. Et on remplit le pont de nos personnages imaginaires rien que pour entendre leurs hisse-et-ho !

À bout de souffle, les yeux roulent avec les tonneaux percés d’idées.

Terre. Enfin. Le dernier point est jeté – pareil à l’ancre du soulagement.

Après des semaines, des mois, un an, rien n’est terminé pourtant. On se précipite par-dessus le bastingage qui nous sépare de l’objectif. « Relecture ». « Parution ». « Impression ». « Promotion »… Ces promesses prennent corps comme les contes de Nassau. Quoi de mieux qu’une vérité, sinon deux légendes crédibles ?

La suite appartient à chacun. Pour certains corsaires, le retour au port d’attache prend des allures de parade. Pour d’autres, il conserve un goût d’inachevé. Est-ce l’accueil de leurs comparses ? Le poids du coffre ? La nostalgie de la traversée ? Tous se rejoignent en revanche dans le besoin irrépressible de recommencer, de regagner le large.

« Les danseurs sont comme les marins, dit Clément Sublin-Decour : épris de liberté. »

Ajoutez-y les écrivains. Mais avant d’entamer d’autres navigations à mon tour, avec une nouvelle à paraître en décembre, puis la préparation d’un prochain livre, je tenais à vous remercier.

Depuis trois mois, armé des moyens qui furent les miens, « Le Marcheur de l’aurore » a séduit un lectorat cible de mille cinq cents personnes. Je n’aurais jamais imaginé pareil résultat, surtout pour commencer ! J’y vois le fruit de votre soutien, d’un bouche à oreille de conviction, ou de belles rencontres dont je conserverai le souvenir précieux. Et au-delà des ventes, je garde vos témoignages sur les sites, les réseaux, voire en librairie. À l’image de ce commentaire d’une ancienne professeure, qui m’est allé droit au cœur :

« Il m’a beaucoup fait voyager, ce candide du XXIe siècle ! Le style est souvent poétique dans ses descriptions, et plein de surprises au détour des chemins que le Marcheur prend surtout à sa propre recherche. Surprenant, très surprenant. Je ne m’attendais pas à cette histoire que j’ai suivie très volontiers. »

Hors de toute comparaison sans objet, je retiens la sincérité du sentiment. C’est dans ces moments-là que l’envie remet ses voiles. Grâce à vous.

L’errance d’un romancier des hautes mers ne se veut donc jamais de tout repos… Mais dieu qu’elle enrichit l’âme, mille (cinq cents) sabords !

Et autant de mercis.

Victor Costa